​

Ce livre est une promenade.

Il est le fruit d’un lent apprivoisement du regard, au milieu de paysages qui ne sautent pas aux yeux.
Il est le fruit de rencontres chaleureuses et généreuses, autour de cafés tranquilles, lorsqu’on prend le temps de partager nos histoires, et de croiser nos sensations.

Depuis plusieurs années, nous traversons, arpentons, découvrons, lors de déplacements pour notre travail, le département de la Haute-Saône.
C’est à force de temps que nous nous sommes mis à apprécier ces paysages discrets et sensibles. Rien de spectaculaire, des vallons, des grandes plaines, un peu de montagnes. Le cours des saisons est venu enrichir notre perception de ces espaces façonnés par une agriculture importante et diversifiée.
Au fil des ans, nous avons fait des photos, attachés petit à petit à la familiarité banale de ces champs. Fixer les changements, de couleurs, de lumières, de temps, de cultures, nuances d’odeurs et de sensations. Retrouver au long des saisons tel bosquet, telle courbe de pré, telle immense plaine, et se réjouir d’y découvrir d’un seul coup ces centaines de balles rondes, ou cette mer d’épis de blé, pliant par vagues sous les assauts du vent.

Chaque année, les agriculteurs façonnent ces espaces, au gré des cultures, des pâtures, des travaux. A voir, sur les clichés, les dessins de ces patchworks, nous avons eu envie de rencontrer ceux qui font ce travail, nous avons eu envie de les entendre nous parler de leur métier, de ce qu’ils sentent, de ce qu’ils voient, de ce qu’ils « peignent » dans leurs paysages. Nous avons eu envie de les entendre parler du coté « artistique » de leur activité, sans jamais prononcer ce mot d’ailleurs.
Nous avons alors pris des rendez-vous de hasard, avec des agriculteurs, choisis indépendamment des lieux de nos photos. Des agriculteurs de toutes sortes, des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, des petites et des grandes exploitations, des éleveurs et des cultivateurs, tous nous ont accueillis avec une immense gentillesse, nous donnant volontiers un bon peu de leur temps. Autour d’un café, nous avons parlé de leur métier, non pas techniquement, non pas en termes de rentabilité, de quotas et de subventions, mais en termes de sensations, d’odeurs, de couleurs, de lignes, de saisons, de goûts, de souvenirs. De ce qu’ils voient, sentent et ressentent, vivent au quotidien, de ces mystérieuses compétences que sont l’intuition, la sensation, leur lien difficile à expliquer, avec les bêtes, les plantes, les terres…

Nous les avons enregistrés, puis nous avons retranscrit par écrit leurs paroles.
Et de ces textes, nous avons extrait, de manière subjective, des phrases ou bouts de phrases, que nous avons mises en résonance avec certaines photos. Les photos ne sont donc pas une illustration de la parole d’un paysan, elles ne correspondent pas au lieu de l’exploitation, et elles n’ont pas été faites lors des entretiens. C’est la juxtaposition de nos deux regards qui nous a semblée intéressante, regards du photographe, et du « faiseur » de paysage. Parfois il en découle un décalage amusant, parfois une émotion. L’un et l’autre s’enrichissent, et l’on va de la photo à la parole et vice-versa.

Ce livre n’est donc pas un travail sociologique ou scientifique de quelque façon que ce soit. C’est un travail artistique à plusieurs mains, c’est un travail subjectif à tous les plans, c’est un travail non exhaustif. Il ne se veut pas représentatif de tous les paysages de la Haute-Saône, ni de tous les agriculteurs. C’est juste une promenade au milieu de lieux qui nous sont familiers, au milieu de paroles qui nous sont familières.

Merci à tous ces « faiseurs de paysages », merci pour leur gentillesse, leur générosité, leur accueil, leur complicité et leur confiance dans ce projet qui n’avait encore pas pris forme lorsqu’on les a rencontrés.